I Demoni. L'art et la durée
Sortant du long et plutôt beau spectacle de Peter Stein à l'Odéon, I Demoni ("Les Possédés") d'après Dostoievski. Je ne peux m'empêcher de me poser des questions sur la forme choisie.
La durée exceptionnelle du spectacle fait qu'on s'y embarque comme une aventure. 12 heures sur place, dont 8h 30 de théâtre effectif.
La grande force du collectif mené par Stein est la capacité du groupe à raconter la même histoire. Ainsi, le début, le premier chapitre, est tout à fait remarquable. Le récit est fluide, il y a juste des acteurs, un texte fort, des situations, et des tensions continuelles. Les 3 premières heures passent sans qu'on s'en rende compte. Après, les choses se gâtent un peu. C'est que la mise en jeu d'un roman ne se suffit pas pour produire du théâtre. Certes, ce qui se raconte est d'une force rare, cela parle de métaphysique, de politique, d'engagement, de foi, de désir, de révolutions. Mais il manque terriblement un point de vue de metteur en scène. Comme si Peter Stein, en s'effaçant derrière le roman, s'effaçait lui-même de sa position de créateur. Alors on se demande qu'est-ce qui l'a poussé à monter CE roman; qu'est-ce qu'il veu raconter, LUI. Ce manque d'axe, cette neutralité apparente empêche de prendre un plaisir complet au spectacle, malgré des momens de grace absolue, comme le retour du fils prodigue Stavroguine.
La forme d'un théâttre dépouillé à quelques meubles rend parfois l'action statique. Ou plutôt il n'y a pas d'action. On parle pour dire des choses importantes certes, mais qui restent de la parole et non de la tension théâtrale. Cette impression est renforcée par le jeu un peu ampoulé et conventionnel de Ivan Alovisio, qui joue Stavroguine, qui roule des yeux comme un acteur de mélodrame, et qui, commentant ainsi tout son drame intérieur, laisse peu de place au spectateur pour une empathie. Je dirai la même chose de Pia Lanciotti, qui joue Maria, la folle qu'épouse par jeu Stavroguine.
En revanche, on reste pantois devant la qualité de jeu de Maddalena Crippa (Varvara, la maîtresse femme de l'intrigue), Fausto Russo Alesi (Kirillov, le suicidaire par idéologie) et surtout Rosario Lisma, qui incarne de manière évidentte et terrienne Chatov, l'homme qui cherche Dieu.
Les défauts du spectacle, sa linéarité, n'empêchent nullement des extraordinaires moments, comme le début de la troisième partie (à mon sens la plus réussie avec le début du spectacle), la fête chez Mme von Lempke, où se déploie un art choral d'une vivacité et d'une rythmique confondantes, ainsi que la suite de cette troisième partie, l'assassinat de Chatov et le suicide de Kirillov. Là se jouent véritablement des violences, des enjeux de théâtre, et la pièce prend son envole pour devenir véritable objet de théâtre. En voyant cela, on ne peut que regretter que, malgré l'enthoutiasme de la troupe, ne se joue pas un théâtre plus risqué et plus politique dans l'ensemble de la représentation.